Les raisons d’un forum

Écrit par – 07/07/2010

William Copeland est l’un des « employés » du Forum Social des États-Unis – ils sont un peu plus d’une douzaine, au total. Will fait partie des quelques salariés du forum basés sur place, dont le travail est (était) notamment d’animer la mobilisation locale. Il est né à Detroit, de parents venus des plantations de canne du Sud des États-Unis pour trouver des jours meilleurs, en se faisant embaucher dans l’industrie automobile.

Principalement blanche jusqu’à la grande dépression, Detroit s’est largement ouverte aux « peoples of color » et compte désormais 89% d’afro-américains. L’industrie automobile a largement embauché les travailleurs des plantations du Sud pour contrecarrer l’activités des ouvriers (polonais et italiens) très syndiqués, lors de la grande dépression. Le mouvement s’est accentué lorsque l’effort de guerre a débouché sur la conversion de l’industrie auto vers l’armement  (en quelques jours à peine – comme quoi convertir massivement une industrie est possible…), la ville devenant plus attractive encore.

Après guerre, la ville amorce son déclin. Les « blancs » vont alors quitter la ville, lentement d’abord, puis massivement après les émeutes de 1967 : fin juillet, des policiers font une descente dans un bar clandestin, et arrêtent 85 personnes, réunies pour fêter le retour de combattants sur le front du Vietnam (sur fond de mouvement anti-guerre, très répandu dans la communauté afro-américaine de Detroit). Un rassemblement s’organise rapidement devant le commissariat où les 85 sont gardés à vue, qui s’étend rapidement, et tourne au pillage des magasins alentours : expression du ras-le-bol des afro-américains devant la ségrégation raciale (les magasins pillés appartenait principalement à des blancs).

D’abord attentistes, les autorités locales finissent par avoir recours à la force, via des gardes nationaux, puis l’armée fédérale. En 5 jours, 43 afro-américains sont tués par des tirs à balle réelles de gardes nationaux débordés. Ces émeutes vont permettre aux afro-américains d’accéder à des responsabilités qui leur étaient jusqu’alors étrangères. Ainsi, Detroit élit un maire noire pour la première fois en 1974. Mais, à long terme, elles vont également contribuer au déclin de la ville – et finir par renforcer la ségrégation : après que les dignitaires locaux aient échoué dans leur tentative de gentrification du centre (en témoigne le siège de General Motors), ils vont peu à peu l’abandonner.

C’est de ce contexte dont Will nous parle – c’est dans celui-ci qu’il a grandit, et qu’il a commencé à militer. Surtout, c’est ce contexte que le forum devait mettre en avant, en même temps que les initiatives et résistances locales et communautaires. Les organisateurs locaux ont donc bloqué deux demi-journées d’ateliers (première et dernière demi-journée) réservés à des activités sur la ville de Detroit pour permettre aux participants du forum de rencontrer des militants locaux, de découvrir les problèmes de cette ville symbole du stade-ultime du capitalisme. Ils ont également organisé une série de « visites de terrain » dans les communautés les plus actives, dans des fermes communautaires, des maisons de quartiers, dans les usines, etc. Une manière stimulante et innovante d’ancrer le forum dans la réalité, de le situer dans un contexte particulier – pour rappeler qu’organiser le forum dans la ville la plus pauvre du pays ne doit pas être sans impact sur le forum lui-même, que ce dernier ne peut rester indifférent à la ville où il se tient. Après tout, comme le dit Will : « si les organisateurs ont choisi de faire le Forum ici plutôt qu’à San Francisco, il faut assumer ». Indéniablement, ces initiatives ont contribué au succès de cette édition. Reste à voir, à court et moyen terme, ce qu’il en restera pour Detroit.

Un article du Monde Diplomatique pour mieux comprendre le contexte des émeutes.

Photo et vidéo : Jean-Paul Duarte

Extrait de l’interview où William parle de l’enjeu des fermes urbaines pour l’avenir de Detroit.

William Copeland est militant de divers mouvements et associations de Detroit. Il a fait partie de l’organisation du Forum Social des États-Unis.

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